La deuxième grande série de peintures de b.philippe est consacrée à des singes : babouins de Guinée (presque toujours verts) et macaques du Japon (jamais verts : il s’agirait plutôt de leurs couleurs naturelles, en particulier pour le rose de la tête et du derrière). Ils sont souvent seuls, mais il y a des paires et des trios, il y a même des autoportraits de Philippe, l’un assis et l’autre debout, avec un ami singe (il les aime et va les voir au zoo depuis l’enfance). Je ne dirais pas qu’à les voir ainsi, ils ont un air de famille. Mais c’est un fait : quand les singes fascinent l’homme, c’est bien parce qu’ils lui ressemblent. La réciproque ne semble pas exacte, mais ce n’est pas le problème du peintre qui les mitraille au numérique. Comme pour sa première série, consacrée à ses frères humains, la photographie est la base du travail : la base technique seulement, car c’est d’abord de peinture qu’il s’agit.
« La peinture s’explique par la peinture » dit sobrement B. Philippe qui nous suggère une piste avec Jusqu’ici tout va bien, représentant un macaque allongé, une main sur la poitrine et l’autre tenant une fleur, dont la pose rappelle à l’évidence celle du Torero mort de Manet (1864), et surtout son Hommage à Manet, où le singe a la même position, et tient sans sa main une reproduction du tableau de référence (introduite dans le tableau par collage). Manet lui-même avait emprunté la position de son cadavre et ses admirables noirs à Vélasquez, lui conférant de la sorte la plénitude des formes souveraines des maîtres du passé. Le Torero mort, autant que l’Olympia de l’année précédente, témoignait de la vigueur du combat de Manet contre les formes vides de son temps autant que de son respect pour les formes pleines du passé. Georges Bataille a bien noté qu’il se tenait aussi loin que possible de son ex-professeur Thomas Couture, et baignait passionnément dans l’univers de Titien et Rembrandt : « se subordonner à une majesté fausse apparaissait dès lors comme une bassesse ». Plus je vois les tableaux de B. Philippe, et d’abord, en ce moment, ces singes traités en larges touches généreuses sur fond de toile écrue, plus j’éprouve le plaisir communicatif de l’expression picturale franchement délivrée de toute contrainte, mais jamais oublieuse de la « royauté secrète » (l’expression est de Malraux) de la peinture déjà entrée dans l’Histoire.
B. Philippe, du seul fait qu’il peint ( il n’est pas interdit de préciser qu’en l’occurrence, il peint remarquablement bien !) entre en conflit implicite avec les formes vides de son temps. Il ne vise personne en particulier (bien au contraire, je crois qu’il sait apprécier de nombreuses réalisations en arts plastiques se situant du côté de la vidéo ou de l’installation ), mais c’est ainsi : les adeptes actuels du vide détestent la peinture et tiennent les peintres comme nuls et non avenus. Plus que jamais (davantage encore que du temps de Picasso), la peinture est un combat. Voici un jeune artiste fraîchement engagé dans la bataille : à la différence de tant de ses contemporains, il se tient à l’écart des « majestés fausses » d’aujourd’hui qui correspondent à un certain « art officiel ». Il a raison : sur la longue distance, nous savons depuis Manet que la victoire de la peinture – celle des formes pleines – est assurée.
Jean-Luc Chalumeau septembre 2006

Il n’est pas de mystère plus grand que la vie. Sa beauté ne nous parvient que par bribes, son sens nous restera caché. Reste le trouble qu’elle nous procure.
Les voir là, à m’ignorer comme faisant partie d’un fleuve bigarré et bruyant qui, ne cessant de s’écouler, ne leur apporte, au milieu du Zoo de Vincennes en réfection, qu’une mince distraction entre deux tendres épouillages, la dispute d’un fruit et un jeu de balançoire… les voir là donc, me procure un léger sentiment de culpabilité, un trouble. Nous sommes cousins, l’évidence est frappante et l’image qu’ils me renvoient d’une partie de notre famille est peu flatteuse. 6,671 milliards d’individus pour ma branche familiale qui malgré sa suffisance et son complexe de supériorité se débrouille comme elle peut avec ses contradictions. Il paraît que l’avenir lui appartient ; considération passant largement au dessus de la tête de ce macaque qui reste étonnement pensif sur le bout d’arbre mort lui servant de perchoir. Il scrute, je crois, les pigeons plus loin, en dehors de l’enclos.
Sommes-nous fâchés ? Si oui le sommes-nous irrémédiablement ?
À voir ma petite cousine simiesque dans les bras de son soigneur, on peut croire que non..
J’arrête là mes considérations évolutionnistes qui ne me mèneront pas plus loin que le bout de ma pensée (que j’assume courte même si, paraît-il, la taille n’a pas d’importance...) et me plonge avec jubilation dans la contemplation de deux groupes de singes :
- les babouins de Guinée
- les macaques du Japon.
Je ne suis pas le seul ma foi, et le fleuve humain que je citais plus haut ferait un bon sujet de série… Passons ! Je mitraille au numérique (les singes, pas mes congénères). Expérience unique, le caractère anthropoïde de ces quadrumanes me fascine… Du « matos » pour la suite : la peinture. Après, désolé mais j’ai pour fâcheuse habitude de renâcler à trop de commentaires sur mon travail. Une incapacité, un reste d’orgueil peut-être, ou la simple conviction que la peinture s’explique par la peinture ni plus ni moins, l’exégèse de mon travail sur les singes n’étant pas de mon ressort… Du vôtre assurément !
Je ne vous dirai pas pourquoi certains de « mes » singes sont verts mais simplement qu’il existe bien des souris de cette couleur…
b.philippe